mercredi 10 novembre 2010

Apprendre à prier à l'ère de la technique - Gonçalo M.Tavarès - Viviane Hamy


Apprendre à prier à l'ère de la technique
Lenz est froid, glacial et incisif comme une lame de rasoir. Ca tombe bien, il est chirurgien et c’est ce qu’on lui demande : le geste précis, irrémédiable. Il est perçu comme un excellent professionnel, est respecté car il sauve les vies. En lui-même, Lenz est calculateur, épris de son seul pouvoir, celui de vie et de mort sur le patient, il est avide d’un pouvoir unique. Il ne vit que pour cela. Elevé par un père militaire sur un seul chemin de réflexion, il devient l’unique prolongement de la vie de son père. (Sa mère et son frère sont vite évincés.) Lenz est pervers, n’a aucune compassion, aucun affect pour ses semblables sauf pour son père et la bibliothèque de celui-ci (mémoire et terreau de la méditation, tout texte  ne correspondant pas à l’idéal philosophique paternel est écarté.). Il est marié à une femme qu’il a vite modelée à ses attentes, ne veut pas d’enfant. Lenz se désintéresse progressivement de la chirurgie, domaine où il excelle et n’a plus rien à prouver, et se lance en politique. Telle une mécanique bien huilée, il contrôle et efface toutes les ombres portées sur son individu.
Et si quelque chose d’imprévisible, d’incontrôlable  survenait ?
La maladie par exemple…
Lenz parviendra t-il à continuer de se passer de ses semblables ? Comment se vivra t-il en corps déficient ? Quand la perfection nous lâche…

J’ai beaucoup aimé l’évolution du ressenti au fur et à mesure de la lecture, je l’ai tout de suite détesté ce Lenz, puis j’ai compris, sans l’excuser,  au vu de l’éducation reçue la personnalité du petit garçon qui se forge sous les brimades du père, puis je l’ai haï, je souhaitais qu’il lui arrive je ne sais quoi, quelque chose qui le blesse, enfin, quand c’est arrivé, je n’étais plus trop sûre de moi…
Soulagée mais remuée  quand même…

Extraits :
P221 : Cependant, il existait deux peurs et non une seule. La première peur arrachait les choses à leur immobilité et la seconde, plus puissante, maintenait les choses en mouvement. Lorsque dix mille personnes d’une ethnie déterminée, sans protection, pour l’essentiel des vieillards, des femmes et des enfants, s’enfuient en apprenant la terrible nouvelle de l’avancée de l’ennemi, ce premier mouvement d’abandon de leur terre natale est impulsé par une première peur. Mais ce qui fait que ces déplacés, après avoir parcouru à pied deux cents kilomètres, avancent encore le plus vite possible, en oubliant déjà les plus faibles et ceux qui commencent à défaillir, c’est la seconde peur, la plus puissante, celle qui maintient en mouvement ce qui l’est déjà depuis longtemps. Cette seconde peur est si forte qu’elle permet de vaincre l’extrême épuisement : la nuit tombe, mais personne n’entend  se reposer.

P239 : Ils disposaient d’un ensemble de forces non quantifiables. Ils avaient simplifié leurs idées, c’est pourquoi leur morale d’action ne rencontrait pas d’obstacles. D’abord, créer un danger sans origine identifiable ; ensuite, grâce à cela, forcer le mouvement de la population ; enfin, préparer un Etat fort où l’on distinguerait deux types de personnes : celles qui protègent et celles qui sont protégées. Voilà les tâches qu’il leur fallait accomplir, en prenant le monde pour établi. Mais avec moins de tâches que de doigts à la main droite, tout devenait facile.

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