dimanche 24 octobre 2010

La patience de Mauricette - Lucien Suel - La Table Ronde

La patience de Mauricette
Dès les premiers souvenirs de Mauricette, petits pincements au cœur : oui, je les connais ces murs en brique-là, la tartine de saindoux avec le sel par-dessus (chez nous, c'était le smolec avec les skwarka), la brique brûlante enrobée dans le papier journal au fond du lit, sous les pieds, même la Marie-Groëtte des rivières, je la connais, enfin non, je ne la connais pas, je l’imagine, c’est pire…

Mais la comparaison s’arrête là car Mauricette a son histoire et comme tout à chacun, avec son histoire, elle traîne ses valises… Enfin pas vraiment des valises mais son cabas vert, son cabas qui lui sert d’ancre à la réalité. Et dedans, le poids du souvenir, le poids des secrets…

Pourtant, ça n’avait pas trop mal commencé pour Mauricette, entourée de parents aimants et de grands-parents attentifs : Pépé Léon, Mémère Germaine, Pépé Joseph et Mémère Beaussart. La vie s’écoulait dans le travail. Jusqu’au jour où la naissance d’Emile, le petit frère, prend la vie de la maman de Mauricette. Evènement douloureux pour une petite fille, pas insurmontable, la vie doit continuer... Où est le choix ?
Mauricette grandit, s’inscrit à l’école normale pour devenir institutrice, un beau métier. Emile grandit, il est adorable. Et puis, et puis… Quelquefois la vie demande trop.

Depuis, Mauricette traîne cette « chose » dans son cabas. Elle traîne cette horreur inimaginable. Ca lui a rongé les sens, l’esprit et la raison. Par temps de répit, Mauricette peut vivre à peu près normalement. En temps de souvenirs, la souffrance et la douleur lui tordent l’esprit. Elle voudrait dire mais les mots s’emmêlent, les phrases se déchirent, les idées s’empêtrent et les silences se perdent. Comment nommer l’indicible ?

Aujourd’hui, son ami de toujours, Christophe, son ami même lors des tempêtes, l’emmène pour un séjour un peu plus long à l’hôpital psychiatrique. Là, la psychologue lui offre un cahier où poser sa douleur. Peut-être qu’en écrivant le monstre lové au fond de ses entrailles, Mauricette pourrait avoir un peu plus de répit entre les crises ?
Dans cette histoire alternent les récits de Christophe et de Mauricette.

Une belle et triste histoire d’une femme entre deux mondes.
La frontière n’est jamais bien loin.

Extraits

P108 : « Les choses avaient bien changé depuis qu’en 1615, Henri Pringuel, artisan pieux d’Armentières, avait fondé avec quatre de ses amis « La maison des Bons-Fils ». Cette maison qui accueillait et soignait les démens était devenue au cours des siècles Asile d’aliénés, puis Hôpital psychiatrique et Centre hospitalier spécialisé avant d’acquérir, en 1993, la dénomination officielle d’ESPM d’Armentières, Etablissement public de santé mentale Lille Métropole.

P168 : « On peut même trouver des alexandrins dans les prospectus comme « Grand arrivage d’huîtres et de poissons fumés » ou bien aussi sur les étiquettes des médicaments « ne jamais laisser à la portée des enfants ». »
P 170 : « Estimez-vous heureuse ! Oui, je vais m’estimer. Je suis encore la chèvre émissaire. Je recycle la souffrance. Je passe à travers les coupe-feu. Je vais et je viens. Pour voir mon avenir. »


Actualité de Lucien Suel

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