dimanche 17 octobre 2010

Gottland - Mariusz Szczygiel - Actes Sud

Gottland
Lorsque la réalité dépasse la fiction…

Gottland : Ce titre parodique provient de la construction d’un musée en l’honneur d’un célèbre chanteur tchèque populaire.

Grâce à une documentation recherchée et à l’indéniable talent de conteur de Mariusz Szczygiel, nous parcourons l’histoire de la Tchécoslovaquie de 1882 à 2006. A travers les petites histoires (proches de mini reportages) de personnages anonymes ou pas, nous croisons le destin entre autres de Svec, malheureux lauréat d’un concours obligatoire destiné à l’élaboration de LA statue de Staline ; celui de l’actrice Lida Baarova, maîtresse de Goëbbels ; de la famille Bata à travers son ascension puis sa déchéance… Nous partons à la recherche de la famille de Kafka, nous abordons la perception globale et évolutive de l’œuvre de Kafka dans ce pays. Nous comprenons la perte progressive du choix de s’exprimer librement (en vue des représailles subies), la difficulté d’orienter ses choix et de ce fait, le changement inconscient de la mentalité individuelle afin d’adhérer à la réflexion collective imposée. Comment exister au quotidien pour le simple quidam et d’autant plus, pour les acteurs du domaine culturel ?
Nous rencontrons des personnalités comme Gustav Fröhlich, Karel Kachyna, Victor Fischl, Otto Gutfreund, Hrabal (au passage, je conseille la lecture d’ « Une trop bruyante solitude »),… Gottland est un texte riche en informations.

J’ai aimé l’écriture simple et entraînante, les chapitres sont bien découpés par histoires évoquées (« L’année 1882 : LA PUANTEUR », « Le 13 juillet 1932 : l’enveloppe », « L’agneau », « Le bout de papier ») et j’ai retrouvé ce qu’on me racontait par bribes à l’occasion de belles rencontres : lorsque la réalité dépasse la fiction…

Extraits :

P87 :
« - Mais comment faîtes-vous avec les Allemands ? insiste Jasenka
- Eh bien, ils vont et ils viennent, et, moi, je travaille, répond-il tranquillement.
- Et vous n’avez pas peur ?
- Peur de quoi ? réfléchit le paysan à haute voix, avant d’ajouter : Et puis, vous savez, un homme ne peut mourir qu’une seule fois. S’il meurt un peu trop tôt, il sera mort un peu plus longtemps, c’est tout. »



P114 :
« A un collègue qui écrit sur les bourreaux et les victimes du communisme, je parle de leur refus de se souvenir.
- C’est parce qu’ils ont peur, constate Piotr Lipinski.
- Cinquante ans après ? Aujourd’hui, alors qu’ils n’ont plus raison d’avoir peur ?
- Tous ceux que tu as rencontrés ont environ quatre-vingt ans. Les quinze dernières années de liberté, ce n’est qu’un tout petit épisode dans leur vie. Trop court pour acquérir la certitude qu’il s’agit d’un état durable, qui ne changera plus.
A Prague, le monument de Staline existe toujours. (2004). »



P255 :
« Un employé interrogé lui donne un exemple :
- Imaginez que vous êtes un homme. Vous entrez dans un magasin et vous demandez s’il y a des chaussettes en fil de coton. Et la vendeuse de répondre : « Pour femmes uniquement, nous n’en avons pas pour enfant. » C’est une logique qui n’a aucun sens, mademoiselle, mais ça marche.
- Parce qu’il y a une logique là-dedans ?
- Oui, car on suppose que l’acheteur sait qu’il n’y a plus de chaussettes pour hommes dans les magasins depuis six mois, et qu’il n’y en aura probablement pas de sitôt. Donc que peut-il vouloir comme chaussettes ? C’est évident, des chaussettes pour femme ou pour enfant. »


Et enfin :
« La Métamorphose :
Le 27 mars 2003.
La comédie de Prague (avec à l’intérieur le café Tragédie) monte La Métamorphose de Franz Kafka dans une mise en scène d’Arnost Golflam.
Dans cette adaptation scénique, le problème du héros n’est pas tant de s’être transformé en cafard, mais plutôt de trouver un moyen de se rendre au travail dans cet état. »


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire