lundi 27 septembre 2010

Au zénith - Duong Thu Huong - Sabine Wespieser

Au zénith

Dans « Au zénith », six chapitres se succèdent. Dans chaque chapitre, un personnage décrit sa vision de son propre univers et de l’histoire collective du pays.
Dans le premier, « le Président », (Hô Chi Minh est suggéré), un homme âgé à présent, vaque à ses occupations quotidiennes. Assigné à résidence en pleine montagne, proche d’une pagode de bonzesses, juste accompagné par des gardes (plus qu’aux petits soins pour leur modèle de citoyen sans égal, leur phare intellectuel, spirituel, leur dieu vivant), il médite sur le sens de sa vie. La solitude extirpe les souvenirs du passé, toujours les plus douloureux en premier. Les cris d’un enfant dus à l’accident d’un bûcheron de la vallée bouscule sa réflexion, le réveille de sa torpeur et ravive le feu des regrets : il veut rencontrer la famille du villageois, il veut descendre au village au grand dam de ses sbires.

Dans le second chapitre, il s’agit de l’histoire de l’un de ces villageois. Comment fonctionne la famille à l’intérieur de la microsociété qu’est un village de montagne ? Les différentes figures sont rencontrées à travers l’histoire de l’une de ces familles à laquelle appartient notre bûcheron. Puis, dans le chapitre suivant est racontée l’histoire de Vu (inspiré par Vu Ki, ancien directeur du musée Hô Chi Minh). Et les petites histoires humaines tissent la grande Histoire et la grande Histoire détruit les êtres humains. Les destins sont intimement liés.

Comme dans « Terre des oublis », chaque récit est une vision de l’ensemble, les fils du destin se mêlent, s’entrecroisent, les personnalités se confrontent. Le fond est dense puisque le contexte politique et social du Vietnam est détaillé, expliqué mais la forme est celle d’une conteuse hors pair et je ne me suis jamais ennuyée une seconde. Pour moi, ce n’est pas une réhabilitation des personnages évoqués mais l’aperçu de la multitude de facettes d’un même sujet permet d’en cerner l’évidente complexité.
J’aime lire Duong Thu Huong car au-delà de me faire comprendre un certain fonctionnement du monde, elle me renvoie à ma propre humanité par ses questionnements et par la richesse des relations humaines évoquées.

Quelques extraits:

P 13 :
Père ! Père !
Le cri du gamin réveille brusquement le président. Un étourdissement le saisit, comme s’il avait reçu un coup sur la tête.
-Père ! Père !
Le cri provient du fond de la vallée, se répercutant sur les parois rocheuses, secouant les arbres, déferlant telles des vagues invisibles dans l’espace silencieux.
Egaré une fraction de seconde, il reprend ses esprits :
Non ; ce n’est pas sa voix, c’est un autre enfant…


P 411 : Son cœur est ébranlé. Plus le temps passe et plus il sent que son âme devient une falaise tombant dans l’océan les jours de tempête. Là où les pensées s’entrechoquent sans fin, comme les vagues se brisant sur la pierre dans un combat sans vainqueur ni vaincu.

P 555 : Maintenant, il se retrouve face à lui-même. Il s’assoit. L’avenir le terrifie. La solitude reviendra le hanter. Le gibet va apparaître. Où se cacher ? Dans la jungle ? Non. Faut-il fuir cette montagne ? Il n’y a pas de raison. Il ne peut pas non plus se comporter comme un fou devant les gardes de cette luxueuse prison. Son orgueil le lui interdit. Il aperçoit la pile des livres qu’il a entamés, chacun avec son marque-page en bambou. Il en prend trois et il en feuillette les pages. Elles tournent devant ses yeux comme des objets dépourvus de sens, masses grisâtres couvertes de points sombres. Il pousse un grand soupir et referme les livres. Les nuages de brume continuent leur migration à travers le jardin de la pagode et les branches fleuries des abricotiers s’agitent, lui rappelant toujours et encore la neige.

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