mardi 23 novembre 2010

Arabesques - Anton Shammas - Babel

Arabesques
Publié en 1986, traduit de l’hébreu en huit langues.
Anton Shammas témoigne, à travers cette autobiographie romancée la difficulté d’exister en tant que palestiniens catholiques dans un pays ravagé par plusieurs conflits internes. L’histoire successive des différents membres de sa famille (depuis ses grands-parents), et ce, sur plusieurs générations, donne, comme à travers un prisme, un aperçu de ce qu’a pu vivre cette communauté : famine, exode, perte d’identité, retour aux sources,…

Un livre dense, riche, une lecture qui demande de l’attention.
J’ai eu un peu de mal à trouver mon rythme au début mais je ne regrette pas d’avoir poursuivi ma lecture. Le rythme est lent, les destins des personnages se suivent ou se croisent (logique puisqu’il s’agit d’une famille). J’ai eu l’impression de lire un texte qui pourrait être un récit oral. J’ai pensé aussi à Hamadou Hampâté Bâ. Peut-être pour le mélange de récits du quotidien, touchants, mêlés aux histoires de la Grande Histoire (du pays) qui viennent les bousculer, les déplacer, les détruire…
En tous les cas, j’ai eu une grande attention pour ce texte qu’il aurait pu me raconter au coin du feu, lors d’une veillée.

Extraits:

P 143 : « Dès le deuxième mot, quand le cerveau a saisi le sens de ce qui va suivre, la protestation se fait ironie, à la limite du sarcasme, d’où il n’y a qu’un pas à franchir pour exprimer le mépris le plus tranchant, l’opinion décisive et sans appel qu’elle a de moi. Une opinion qu’elle a gardé au fond de ses entrailles, pendant toute nos années de vie commune, enfouie sous la routine du quotidien, l’appartement, les dettes, les comptes conjoints, l’organisation de la soirée du Séder et dans quel café se retrouve-t-on le vendredi après-midi et qui inviter pour le dîner et as-tu déjà lu le supplément hebdomadaire ? Alors pourquoi laisses-tu le journal grand ouvert par terre, et toutes ces marques de doigts sur les interrupteurs, et sa position favorite pour atteindre l’orgasme, parce qu’elle ne dit jamais « jouir », et sa manière de presser le tube de dentifrice en son milieu, d’éclabousser le miroir de savon à barbe, ses bâtons de fard dans le porte-savon et sa boîte de tampons à moitié vide sur l’étagère de la salle de bain bien qu’elle n’ait pas été indisposée depuis longtemps, parce qu’elle ne parle jamais de ses règles, et les draps qu’elle s’obstinait à faire amidonner malgré les insomnies que ça me provoquait, et la poussière imaginaire que j’essuyais machinalement de mon bureau lorsqu’elle venait me souffler dans la nuque pour voir ce que diable je pouvais faire si je n’écrivais pas, et c’est là qu’elle me lançait cette phrase définitive, irrémédiable - que je taille trop grand pour elle. »


P164 : « À l’exception d’Abou Shaker, tous les hommes avaient quitté le village à l’aube à la recherche d’une cachette dans les environs, où attendre que retombât la fureur des conquérants. Les femmes et les enfants, réfugiés sous le toit du prophète Elie, le Saint Patron dont l’église portait le nom, élevaient leurs prières et leurs supplications vers la vierge Marie pour qu’elle éloignât des lèvres de ses fidèles la coupe amère de l’exil. Les anciens, trop âgés pour s’enfuir dans les champs mais trop jeunes pour attendre sereinement chez eux le verdict aveugle du destin, et trop cyniques pour joindre leurs prières à celles des femmes, s’étaient rassemblés dans l’entrée de la maison du curé, le prédécesseur de l’homme à l’ombrelle celui dont les élèves, six ans plus tard, devenus comédiens malgré eux, se vengeraient à la veille de la représentation de la pièce Miséricordieux est le Tout-Puissant. »

P221 : «Iowa City, 3 octobre.
Après notre installation, les journées ont commencé à s’écouler paresseusement. Faites de conversations, de rencontres, de conférences, de réceptions et de dîners, de visites dans des ranches et de soirées de lecture, de discussions, de controverses, d’amours et de paroles incandescentes qui s’envolent vers le faîte des arbres ou au-dessus des verres, dans les bars, aux petits matins lourds d’émotions, de souvenance et d’oubli. »



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